Le rayonnement de la figure martinienne

Le rayonnement de la figure martinienne

par BRUNO JUDIC

professeur d’histoire du Moyen Age à l’université de Tours

président du Centre Européen Culturel Saint Martin de Tours

Extrait du catalogue de l’exposition

« Martin de Tours le rayonnement de la cité »

Notre résumé – Pour les lecteurs pressés

  • Martin fut le premier saint non martyr de l’histoire de la chrétienté. Il propose donc pour l’édification des fidèles un nouveau « modèle » de sainteté: l’ascèse, la prière, le monachisme.
  • Martin n’a laissé aucun écrit; il est connu par le texte de Sulpice Sévère qui fut autant son hagiographe que son biographe et qui a joué un rôle immense dans la « construction » du personnage de Martin.
  • Il fut le précurseur du monachisme en Europe, un grand évangélisateur de la Gaule,  l’évêque de Tours, un thaumaturge et un défenseur de l’orthodoxie à une époque où le christianisme faisait face à des « hérésies », notamment l’arianisme qui contestait la nature divine de Jésus.
  • L’essor de son culte doit beaucoup au succès du texte de Sulpice Sévère, à la volonté de ses successeurs de promouvoir le pèlerinage sur sa tombe à Tours et à Clovis qui en fait le protecteur de la monarchie franque.
  • Mérovingiens, carolingiens puis capétiens, les rois de France perpétuent cette tradition et lui vouent leur royauté. Le terme « Capétiens » pourrait être lié à la cape, le manteau que Martin jeune soldat de l’armée romaine partagea un soir d’hiver avec un pauvre à Amiens.
  • La figure martinienne devient au Moyen Âge central un attribut de la royauté française ; c’est le saint Martin « français » qui rayonne avec le royaume et le prestige de tel ou tel de ses rois de Louis IX à Louis XIV.
  • Martin est un européen, né en Pannonie (Hongrie), très connu en Italie (il a vécu à Pavis dans sa jeunesse). Les conquêtes franques puis carolingiennes expliquent aussi le succès de saint Martin à l’est du Rhin.
  • Il existe des liens étroits entre le chemin de Compostelle et le culte martinien. Les chanoines de Tours favorisèrent le pèlerinage vers l’Espagne qui passait par Tours ; le chemin de Tours vers l’Espagne n’est autre que le chemin, inversé, de l’Espagne vers le tombeau de saint Martin.
  • Au delà de l’Europe continentale, Saint Martin est présent en Angleterre, Irlande; Buenos Aires l’a choisi comme saint patron.
  • Paris  compte de nombreuses rues, faubourgs, portes, canal, églises dédiés à Saint Martin. L’abbaye de Saint Martin des Champs fut florissante et l’égale de Saint Germain des prés.
  • Saint Martin est le saint patron de nombreuses églises rurales. Les statistiques sont délicates à établir car il faut tenir compte des nombreuses disparitions d’églises au cours des siècles et des changements de vocables. Des régions, telles que la Normandie, ont connu une diffusion du culte plus importante que la Touraine. Au Moyen Âge, dans les diocèses de Cambrai et d’Arras, le patronage de saint Martin était aussi important en nombre que les patronages de saint Pierre et de Notre Dame ; et ces trois patronages, à eux seuls, représentaient les trois quarts de tous les vocables.
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« Notre » Saint Martin –  Eglise de Repentigny

 

Texte de Bruno JUDIC

« Parler de la « figure martinienne » laisse entendre une représentation, une image, un portrait. On serait pourtant bien en peine de montrer un portrait datable de l’époque du saint ; du moins en apparence. On n’insistera jamais assez sur le caractère fondateur de la sainteté martinienne et par conséquent sur son caractère original et unique. Martin fut le premier saint non martyr. En outre, il n’a laissé aucun écrit et c’est par le texte d’un autre qu’il est bien connu. Sulpice Sévère, le biographe ou plutôt l’hagiographe, joue un rôle immense dans la « construction » du personnage de Martin. Sans Sulpice Sévère nous ne saurions à peu près rien. L’Église du IVe siècle émerge brutalement en pleine lumière après des siècles de vie cachée, parfois clandestine et parfois tragique lors des persécutions. Cette Église émerge avec la faveur de Constantin et de ses successeurs et entreprend de s’affirmer dans sa doctrine, dans son organisation, dans sa liturgie, dans la piété des fidèles. Elle s’appuie sur le prestige des martyrs, témoins de la foi, modèles de la sainteté. À l’ombre de cette piété martyriale, Sulpice Sévère veut affirmer la sainteté d’un homme qui n’a pas été mis à mort pour sa foi. Audace, nouveauté, volonté de prolonger l’idéal du martyr dans l’idéal de l’ascète, dans la consécration totale à la prière, hors du monde et de ses ambitions. C’est l’idéal de Sulpice Sévère lui-même et de plusieurs personnalités de premier plan à la fin du IVe siècle, par exemple saint Jérôme. Sulpice Sévère, issu d’une riche famille aristocratique de Bordeaux, est un avocat brillant. Son ami Paulin, futur évêque de Nole, l’entraîne à abandonner cette vie au profit de l’ascétisme chrétien, expé-rimenté dans sa villa de Primuliacum, quelque part du côté de Carcassonne ; c’est aussi Paulin qui lui apprend l’existence d’un évêque « hors norme » à Tours. Sulpice fait donc le voyage de Carcassonne jusqu’à Tours, probablement vers 394-395, plusieurs fois. Il voit alors dans ce moine-évêque le modèle de cette nouvelle sainteté qui pourrait prendre le relais du martyre et se met à rédiger une Vie de saint Martin avant même la mort de son héros. Par la suite, Sulpice complète ce premier texte avec des lettres concernant la mort de Martin, puis, un peu plus tard, avec un nouveau livre, Les Dialogues ou le Gallus, rapportant des miracles de Martin. Cet ensemble de textes, les écrits martiniens de Sulpice Sévère, forme le point de départ du culte de saint Martin et nous livre les premières images du personnage. Certes, il s’agit d’image avant l’image, il s’agit de récits et de descriptions littéraires. Mais le dernier commentateur de ces textes, Jacques Fontaine, a bien montré comment ces descriptions sont profondément « imagées ». Il a en effet souligné la présence de trois niveaux de « stylisation » Martin lui-même a modelé sa vie sur des idéaux évangéliques et sur l’imitation du Christ ; il est donc normal d’y retrouver, dans chaque geste, un écho de telle ou telle scène de l’Écriture. Le deuxième niveau concerne les informations données par les compagnons de Martin : ils ont été attirés par l’ascète, par te thaumaturge, par le maître spirituel ; ils ont conformé leur propre vie à son exemple et ont vu, dans ses actes, autant de miracles. Enfin, le troisième niveau est celui de l’écriture même de Sulpice Sévère, marqué par la culture biblique mais aussi par ta première littérature chrétienne, précisément celle des récits de martyre, celle des premiers pères du désert égyptien et enfin cette des polémiques doctrinales. De tout cela ressort un portrait extrêmement construit d’un homme à ta fois précoce et vénérable, un homme un peu au-delà de l’humanité : « nous brûlions de t’envie de le connaître… nous l’avons en partie interrogé lui-même,dans la mesure où il était possible de Iui poser des questions… » et un peu plus loin « Jamais personne ne l’a vu en colère, ni ému, ni affligé, ni en train de rire. Toujours égal à lui-même, le visage rayonnant d’une joie pour ainsi dire céleste, il avait l’air étranger à la nature humaine » (Vita Martini, 25, 1 et 27, 1). Sulpice veut témoigner de cette sorte de crainte paralysante qu’on éprouve devant le sacré.

Martin a le visage rayonnant mais quel visage ? Aucun détail n’est donné ; il faut se résigner à une image déjà transformée, à une intensité de rayonnement, à un assemblage nécessairement « surhumain » des différents rôles occupés par Martin. La volonté précoce de mener la vie religieuse, même si elle fut contrariée, fait de lui le précurseur du monachisme latin et le passeur vers l’Occident de ce type de vie chrétienne qui s’épanouissait en Égypte dès le premier tiers du IVe siècle. Martin est un moine, Sulpice l’a vu ainsi et la tradition monastique l’a constamment conservé comme son modèle et son pionnier. Or ce moine, a priori peu lettré – Sulpice ne cache pas la faible instruction de son héros -, était aussi un ardent défenseur de l’orthodoxie. On mesure mal aujourd’hui l’importance de cette dimension du personnage. En effet l’écriture de Sulpice semble tournée vers les miracles qui, eux-mêmes, manifesteraient la puissance de Dieu à travers son serviteur Martin. Pourtant, de nombreux épisodes de la vie et des miracles sont directement liés aux grandes querelles théologiques du IV’ siècle. Sulpice est lui-même complètement immergé dans ces polémiques. Martin, de ce point de vue, est le disciple et le porte-parole d’Hilaire de Poitiers, le grand théologien de la Trinité face à l’arianisme. Ces deux dimensions, le moine et le défenseur de l’orthodoxie, se combinent en quelque sorte dans une troisième dimension : la thaumaturgie. Le miracle est omniprésent, même s’il n’est pas toujours spectaculaire. Certes le défi du pin montre un Martin grand magicien, mais d’autres miracles manifestent avant tout la pratique de la miséricorde. D’ailleurs la mise en scène du miracle, chez Sulpice, est étroitement liée à la stylisation scripturaire.

Les Tourangeaux à la recherche d’un nouvel évêque connaissent les « vertus » de Martin et parviennent à en faire leur évêque. Or Martin n’appartient pas à l’aristocratie sénatoriale qui commence à investir la fonction épiscopale. Ces évêques grands seigneurs ont certainement beaucoup construit. Ils ont su assurer une certaine continuité entre l’empire de l’âge classique et l’empire devenu chrétien et cette continuité se révélera encore plus décisive avec la mise en place des royaumes romano-barbares au Ve siècle. Ces évêques ont fait de l’Église le prolongement de l’empire dans l’Occident dit barbare, en assurant la transmission de la culture latine. Martin en revanche poursuit sa vocation monastique à Marmoutier, de l’autre côté de la Loire, tout en assumant la direction de l’Église tourangelle. Mais Sulpice nous le montre aussi bien loin de Tours. Il rencontre plusieurs fois l’empereur à Trèves ; il est actif à Paris, à Chartres ou à Vienne sur le Rhône ; il prêche aux paysans, bien au-delà de son diocèse, devenant ainsi l’évangélisateur des campagnes par excellence.

Du texte au tombeau

Les cinq dimensions  du personnage pourraient suffire à expliquer un succès apparemment immédiat. C’est pourtant moins simple. Le succès fut peut-être d’abord celui des écrits sévériens, diffusés surtout là où il y avait des lecteurs, en particulier à Rome et dans l’Italie du début du Ve siècle. Certes, le tombeau attirait aussi des admirateurs, sans doute les frères de Marmoutier, sans doute d’autres  émules du monachisme sur la valée de la Loire, sans doute tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, eurent connaissance de ses « vertus ». Sulpice Sévère lui-même évoque le succès de son livre à Rome, vantardise d’écrivain ? Mais, de fait, des indices très forts et indépendants vont dans ce sens : Paulin de Milan, dans son prologue de la Vita Ambrosii, rédigé vers 420, place son oeuvre sous une triple autorité, celle de la Vie d’Antoine par Athanase, celle de la Vie de Paul l’Ermite par saint Jérôme et celle de la Vie de Martin par Sulpice Sévère. Le parallélisme est frappant et c’est Sulpice qui est au rang de Jérôme et Athanase. Mais ce parallélisme n’est possible que si le livre de Sulpice est déjà très connu. Vers 431, le prêtre Uranius fait le récit de la mort de Paulin, l’ami de Sulpice Sévère, devenu évêque de Nole en Campanie. Sur son lit de mort, Paulin de Nole a la vision de deux saints : Martin et Janvier, première mention de Janvier appelé à quelle célébrité à Naples et témoignage du succès de Martin en Italie méridionale. Vers la même époque, Sozomène rédige, en grec, à Constantinople une Histoire ecclésiastique dans laquelle un chapitre est consacré à saint Martin. Cette diffusion «orientale» ne peut s’expliquer sans un vrai succès romain.

L’essor du culte sur le tombeau est dû à Perpet, évêque de Tours entre 460 et 480 environ. C’est lui qui fait construire une grande basilique sur le tombeau, magnifique bâtiment dont l’architecture nous est décrite, un siècle plus tard, par Grégoire de Tours. Selon toute vraisemblance, cette basilique était ornée de mosaïques non seulement décoratives mais aussi figuratives. Perpet institua aussi les fêtes du culte martinien et enracina le culte martinien dans la terre gauloise tout en profitant de son aura romaine.

Environ vingt ans plus tard, Clovis, maître du pouvoir dans le nord de la Gaule, étend son royaume jusqu’à la Loire et s’apprête à guerroyer contre les Wisigoths du royaume de Toulouse. Clovis, roi franc, n’est pas un « barbare » étranger au monde romain. Il a le soutien d’une grande partie de la vieille aristocratie sénatoriale gallo-romaine. Sa conversion au christianisme catholique lui permet de rejoindre la religion de ses sujets gallo-romains. La dévotion à saint Martin souligne son attachement à une légitimité romaine. Mais Clovis fait de Martin le protecteur de la monarchie franque et contribue à donner une nouvelle dimension, totalement imprévisible un siècle plus tôt un saint gallo-franc, protecteur du souverain. Grégoire de Tours, qui écrit vers 580, montre abondamment l’implication de la dynastie mérovingienne dans la dévotion au sanctuaire tourangeau, à commencer par Clotilde qui vit le restant de ses jours, presque trente années, après la mort de son mari, auprès du tombeau tourangeau. D’autres reines du Vie siècle sont également bien connues pour leur dévotion à Martin, de Radegonde, devenue moniale à Poitiers, à Brunehaut qui pouvait voir en Martin le pourfendeur de l’arianisme qu’elle avait elle-même renié en quittant l’Espagne wisigothique.

La dimension « franque » de saint Martin est encore augmentée au VIle siècle par le thème de la «chape», un objet qui n’apparaît jamais chez Grégoire de Tours mais qui évoque le manteau partagé. Sans doute s’agissait-il d’un tissu placé sur le tombeau et imprégné des « vertus » émanant du lieu. Les rois francs partent en guerre en portant cette « chape » comme bannière et la conservent comme la plus précieuse relique de leur trésor qui prend ainsi le nom de « Chapelle » servie par des «chapelains». À la fin du VIII siècle, Charlemagne, à la tête de la nouvelle dynastie carolingienne, récupère la «chape» pour laquelle il fait construire la « Chapelle », l’église de son palais d’Aix. À la fin du IXe siècle, le roi de Francie occidentale prend pour lui-même le titre d’« abbé de Saint-Martin ». Des Carolingiens, le titre est passé aux Capétiens au Xe siècle. Du reste il est bien possible que le surnom de « Capet » soit directement lié à la garde de cette relique, de cette « chape » de saint Martin, même si nous n’avons plus vraiment les moyens de vérifier l’origine exacte de ce sobriquet, qui peut aussi rappeler un roi « chapé » c’est-à-dire pourvu du titre abbatial non seulement de Saint-Martin mais encore de nombreuses abbayes dans le royaume. Ainsi la figure martinienne devient-elle au Moyen Âge central un attribut de la royauté française ; c’est le saint Martin « français » qui rayonne avec le royaume et le prestige de tel ou tel de ses rois de Louis IX à Louis XIV, mais c’est aussi ce saint Martin « royal » qui symbolise, bien malgré lui, la tyrannie d’Ancien Régime pour les révolutionnaires de la fin du XVIIIe siècle. Le symbole est tellement fort qu’il entraîne la destruction quasi totale des grands édifices martiniens de Tours.

La plus ancienne représentation connue de la figure de saint Martin est une mosaïque de Ravenne datable de 570 environ. Il faut la rattacher au développement considérable de la réputation du saint dans l’Italie des Ve et VIe siècles. Elle est fondamentalement liée à l’image du défenseur de la foi orthodoxe. L’église qui porte depuis le IXe siècle, le nom de Saint-Apollinaire le Neuf était connue sous le nom de Saint-Martin au Ciel d’Or. Elle avait été construite à l’origine comme sanctuaire du palais royal de Theodoric, le grand souverain des Ostrogoths, qui fut aussi un grand défenseur de la romanité civile et po-litique. Or Theodoric était arien ; son église était arienne. Les guerres gothiques, entre 535 et 555, qui virent le retour de l’Italie sous l’autorité directe du gouvernement impérial de Constantinople, furent marquées dès 540 par la conquête de Ravenne sur les Ostrogoths. Dès lors, l’arianisme, vestige de l’armée ostrogothe, devait être éradiqué. L’église du palais royal fut donc reconvertie en église catholique sous le patronage du combattant de l’orthodoxie. Ainsi Martin est figuré en tête du cortège des martyrs romains au plus près du Christ sur le mur droit de la nef et du choeur ; en face sur le mur gauche, le cortège des vierges est conduit par sainte Euphémie, elle-même au plus près de Marie portant l’Enfant-Dieu. Or Euphémie était la patronne de la basilique de Chalcédoine dans laquelle, en 451, les Pères conciliaires avaient affirmé les deux natures humaine et divine du Christ. Martin contre l’arianisme, Euphémie contre le monophysisme, le programme orthodoxe de cette église est bien clair. Ce Martin « orthodoxe » est présent à Rome dès 500 dans la basilique, aujourd’hui Saint-Martin aux Monts, que le pape Symmaque fait construire sur l’Esquilin. Il est présent aussi à Lucques dans la dédicace de la cathédrale et sans doute déjà dans bien d’autres églises italiennes dont la fondation peut remonter à cette époque. Or l’Italie connaît aussi fort bien Martin, pionnier du monachisme : quand saint Benoît fonde le Mont Cassin, vers 535, il détruit un temple d’Apollon pour le remplacer par une église Saint-Martin. Cassiodore consacre aussi à Martin l’église de Vivarium. On le trouve aussi à Naples et à Palerme. Le plus ancien manuscrit des œuvres de Sulpice Sévère, bien daté de 517, a été produit à Vérone et s’y trouve encore aujourd’hui. À partir de ces lieux, Ravenne, Vérone, les dédicaces martiniennes ont probablement essaimé très tôt en particulier dans le nord-est de l’Italie et dans les Alpes, le long de l’Adige et du Tagliamento. En tout cas, à l’époque lombarde, des églises Saint-Martin sont attestées sur le lac de Garde (Sirmione), mais aussi à Pavie.

Il est remarquable que le succès de ce Martin défenseur de la foi et moine ait été renouvelé à la fin du VIIIe siècle par la conquête carolingienne. Désormais, saint Martin est aussi associé à la monarchie franque et plus généralement dans les siècles suivants à l’empire restauré en Occident. Charlemagne donne à la basilique Saint-Martin de Tours des domaines en Italie qui, en toute logique, sont situés là où se trouvaient déjà des églises Saint-Martin.

La basilique tourangelle fut la source de nombreuses images martiniennes. Elle devait en effet posséder un véritable cycle d’images. Au temps de Perpet, le décor devait en partie correspondre aux versus basilicae que nous a trans-mis le Martinellus. Ils permettent de supposer la présence de scènes évangéliques, la veuve indigente, Jésus marchant sur les eaux, le Cénacle, la colonne de la Flagellation ou encore le trône de l’apôtre Jacques ; à ce programme devaient faire pendant des scènes de miracles martiniens sans qu’on puisse être plus précis. Vers la fin du VIe siècle, Grégoire de Tours fit reconstruire la cathédrale et introduisit des scènes martiniennes que Fortunat a évoquées dans un poème : on pouvait voir un triptyque avec la guérison du lépreux, le partage de la chlamyde et la messe du globe de feu ; on y trouvait aussi les résurrections opérées par le saint, le pin coupé, les serpents, le faux martyr, la guérison de la fille d’Arborius et les idoles renversées.

La conquête franque explique aussi le succès de saint Martin à l’est du Rhin. La cathédrale de Mayence, sur le Rhin, ancienne cité romaine, est consacrée à saint Martin au VI’ siècle. Or cette cathédrale étend progressivement sa juridiction sur tous les territoires à l’est du Rhin. Ainsi au Moyen Âge central la plus grande partie de la Germanie se trouve sous l’autorité ecclésiastique de Mayence. Les nombreuses églises Saint-Martin dans l’Allemagne d’aujourd’hui trouvent leur origine dans cette situation. Et dans certains cas, comme à Erfurt, on peut remonter jusqu’au haut Moyen Âge la dédicace martinienne en relation avec la juridiction de Mayence.

Au VIlle siècle, Boniface, missionnaire anglo-saxon, fonda l’abbaye de Fulda, en Hesse. À la fin de ce même siècle, cette abbaye entretenait des liens étroits avec Tours. Le jeune Raban, moine de Fulda, vint étudier à Tours sous la direction d’Alcuin. Les images de la basilique tourangelle furent connues à Fulda et ont certainement inspiré le décor du sacramentaire de Fulda. Certains manuscrits de ce sacramentaire, réalisés à la fin du Xe siècle, portent la première représentation connue aujourd’hui de la Charité d’Amiens sans doute à partir du décor même de la basilique tourangelle. Cette image est exceptionnelle : sur la partie gauche, devant la porte de la ville, Martin, à pied, sans cheval, partage son manteau avec le mendiant en vis-à-vis, mais sur la partie droite, Martin est figuré endormi sur un lit, et au-dessus, au centre de l’image, le Christ, que Martin contemple dans sa vision nocturne, porte la moitié de manteau don-née au mendiant. L’image est ici étroitement liée au texte même de Sulpice Sévère et manifeste la signification profondément christique de la célèbre scène. C’est encore cette inspiration que l’on retrouve sur un chapiteau de Saint-Benoît sur Loire autour de l’an mil.

Apostolicité, universalité, de l’Europe au monde

Dès le Vle siècle, le culte de saint Martin est présent dans les îles britanniques, en Écosse à Whithorn et sur l’île de lona (St Martin’s Cross), et à Canterbury dont la petite église Saint-Martin peut être considérée comme la plus vieille église toujours en activité sur le territoire de l’Angleterre. En Irlande la légende associe saint Patrick à saint Martin et, très concrètement, le codex d’Armagh, un manuscrit du début du IXe siècle contenant la vie de saint Patrick en vieil irlandais, contient aussi les quatre évangiles et la Vie de saint Martin en latin. De fait les moines irlandais allant à Rome passaient par la vallée de la Loire, et comme le montre le cas de saint Colomban de Luxeuil, ils s’arrêtaient à Tours pour prier sur le tombeau. D’ailleurs, le village de Saint-Patrice en aval de Tours sur la rive droite de la Loire, attesté dès le XI’ siècle (ecclesia sancti Patricii), rappelle sans doute ces longs voyages.

La péninsule ibérique était en relation avec le royaume franc au VI’ siècle. Grégoire de Tours raconte la conversion du roi suève de Galice, Cararic, qui fit venir des reliques de Tours jusque dans son royaume vers 550. C’était sans doute en relation avec l’action de Martin de Dume ou de Braga, un pannonien, portant ce nom en hommage à son compatriote antérieur de deux siècles, et qui pratiquait une grande dévotion envers son homonyme. Dès cette époque, des églises furent consacrées en l’honneur de saint Martin de Tours en Galice et plus généralement au sud des Pyrénées, dont témoigne aujourd’hui la cathédrale San Martin d’Orense par exemple mais aussi les nombreuses dédicaces à saint Martin autour de Braga dans le nord du Portugal. La Galice est aussi la province où, à partir du IX’ siècle, se développa la légende du tombeau de saint Jacques, suscitant aux XI’ et XII’ siècles le pèle-rinage bien connu. Certes, les « Francos » furent nombreux sur le chemin médiéval de Santiago et contribuèrent à la fondation d’églises Saint-Martin, mais il est vraisemblable que ce patronage est généralement bien plus ancien même si l’on manque de données précises. Il est bien visible à Compostelle dans le grand monastère San Martin, fondé au Xe siècle, reconstruit au XVIIe siècle avec des façades typiques du baroque espagnol. Et sur le camino, l’église San Martin de Fromista est un modèle de l’architecture romane. Plus fondamentalement, il existe des liens étroits entre le chemin de Compostelle et le culte martinien. Les chanoines de Tours favorisèrent le pèlerinage vers l’Espagne qui passait par Tours ; d’ailleurs le chemin de Tours vers l’Espagne n’est autre que le chemin, inversé, de l’Espagne vers le tombeau de saint Martin. Par ailleurs la légende de l’été de la Saint-Martin évoque un « chemin blanc » allant d’ouest en est ou inversement et cette « voie lac-tée » est aussi un aspect du camino.

Martin, pionnier du monachisme, n’a jamais cessé d’être vénéré par les moines d’Occident. De nombreuses fondations monastiques se sont placées sous son patronage au cours des siècles. Dans le haut Moyen Âge, on le trouve associé à la fondation de Saint-Bertin à Saint-Omer en Flandre. A Paris une église Saint-Martin des Champs existait dès le VII siècle, rappelant le miracle du baiser au lépreux, mais elle disparut avec les invasions normandes. Elle est restaurée par le roi Henri Ier en 1059, puis le roi Philippe Ier la donna à l’abbaye de Cluny en 1079. Ce « prieuré » fut l’une des cinq « filles » de Cluny largement doté de biens et de revenus par te mi et les grands, possessionné dans tout le bassin parisien. Saint-Martin des Champs avait cents moines au XIIe siècle et cette institution demeura jusqu’à la Révolution française l’une des très grandes abbayes parisiennes au même niveau que Saint-Germain des Prés ou Saint-Victor. La « rue Saint-Martin », ancien carde de la cité romaine, est connue sous ce nom dès le XI’ siècle et elle a donné naissance à d’autres toponymes formant le quartier Saint-Martin (Porte Saint-Martin, rue du Faubourg Saint-Martin, boulevard Saint-Martin, canal Saint-Martin…). À Londres, St Martin in the Fields remonte au XII siècle, peut-être sur un sanctuaire plus ancien, et est devenu, jusqu’à nos jours, un des hauts lieux de la capitale britannique. Saint-Martin de Pontoise, Saint-Martin de Laon, Saint-Martin de Tournai furent aussi des fonda-tions monastiques du XI’ siècle. Le monastère San Martino Maggiore de Bologne fut construit au XIII’ siècle. Saint-Martin le Grand à Cologne, fondée (ou refondée) au Xe siècle, abrita au XVe siècle de savants moines irlandais. Weingarten, immense abbatiale baroque, abrite les tombeaux des Welfs, l’une des grandes dynasties du Saint Empire. Beuron, fondée en 1863 à l’emplacement d’un ancien couvent de chanoines de Saint-Augustin, est devenue la tête d’une importante congrégation de moines bénédictins, elle est le siège d’une intense activité intellectuelle dans les domaines liturgique et biblique. Edith Stein y fit un séjour décisif pour sa propre vocation…

Saint Martin revêt un caractère apostolique aussi par le grand nombre de dédicaces d’églises rurales. Les statistiques sont délicates à établir car il faut tenir compte des nombreuses disparitions d’églises au cours des siècles et des changements de vocables. Des régions, telles que la Normandie, ont connu une diffusion du culte plus importante que la Touraine. Au Moyen Âge, dans les diocèses de Cambrai et d’Arras, le patronage de saint Martin était aussi important en nombre que les patronages de saint Pierre et de Notre Dame ; et ces trois patronages, à eux seuls, représentaient les trois quarts de tous les vocables. On relèvera le succès du patronage martinien en Limousin. Il est la conséquence de l’action de saint Aredius ou Yrieix, un ermite du VIe siècle, qui fit don de ses biens à saint Martin et à saint Hilaire. On retrouve ainsi notre saint à Limoges, à Tulle, à Laguenne, à Montpezat de Quercy. Le saint Martin de Brive est certes un autre personnage mais il est isolé et son nom en fait un disciple du tourangeau, à la même époque que saint Yrieix.

L’expansion européenne à l’époque moderne a porté saint Martin dans le nouveau monde. Saint-Martinville en Louisiane est au coeur du pays cajun ; l’église fut fondée avec l’arrivée des Acadiens lors du « grand dérangement » vers 1765. L’église San Martin de Codpa dans le diocèse d’Arica (nord du Chili) date de 1668, une des plus anciennes du Chili. On y raconte qu’un soldat espagnol croisa la route d’un mendiant avec lequel il partagea son manteau ; un peu plus tard tous les soldats sont inspectés, Martin se dit qu’il sera puni à cause de son équipement défectueux mais, miraculeusement, au moment de la revue, le manteau est entier. Depuis sa fondation au XVI siècle, la ville de Buenos Aires en Argentine a pour patron saint Martin. La grande basilique Saint-Martin de Taal, aux Philippines, fut fondée dès le XVIe siècle et reconstruite à plusieurs reprises.

Le rayonnement de saint Martin est un phénomène complexe. À l’origine, il faut voir sans doute le succès d’un texte qui rejaillit de Rome jusqu’à Tours au V’ siècle. Mais un fait comparable se produit au Xe siècle. Odon, abbé de Cluny et fervent dévot de saint Martin, se lamente sur les malheurs de la basilique tourangelle et la faible ferveur de ses chanoines. Or il rappelle que Martin est aussi bien ailleurs, à Limoges ou à Tulle, d’où il rayonnera mieux que depuis Tours. Au XIXe siècle, non seulement la basilique avait été détruite mais le tombeau lui-même était oublié. C’est un avocat martiniquais, Léon Papin-Dupont, qui redécouvrit le tombeau et relança la dévotion martinienne au bord de la Loire. »

 

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L’ordination épiscopale de Saint Martin – Verso du retable de Repentigny

Saint Martin ? p’têt ben qu’oui mais … p’têt ben qu’non !

Chers amis du patrimoine de Repentigny

Nous poursuivons notre enquête historico-ludique sur la vie de notre évêque mystère.

Vous avez été nombreux à vous passionner pour le premier article. Merci pour vos encouragements !
 
Nombreux aussi à vous plaindre de ce suspense insoutenable !!!
Reconnaissez qu’il a débuté voici plus de 4 siècles quand ces panneaux ont été peints, alors une semaine de plus ou de moins …

Il est quand même temps de lever le voile sur le panneau gauche du verso de notre retable avec cette question lancinante: s’agit il de Saint Martin ?
 
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Sur le premier tableau, en haut à gauche, notre saint évêque rencontre ce qui semble être des personnages importants reconnaissables à leurs riches vêtements.

 
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Saint Martin en a rencontré de nombreux. Sulpice Sévère raconte notamment:

 
« À peu près à l’époque où il reçut l’épiscopat, Martin fut obligé de se présenter à la cour. Valentinien régnait alors. Sachant que Martin demandait des choses qu’il ne voulait pas accorder, il ordonna qu’on ne le laissât pas entrer au palais. Outre sa vanité et son orgueil, il avait une épouse arienne (voir note plus bas)qui l’éloignait du Saint et l’empêchait de lui rendre hommage.
C’est pourquoi Martin, après avoir fait plusieurs tentatives inutiles pour pénétrer chez ce prince orgueilleux, eut recours à ses armes ordinaires ; il se revêtit d’un cilice, se couvrit de cendres, s’abstint de boire et de manger ; et pria jour et nuit. Le septième jour, un ange lui apparut et lui ordonna de se rendre avec confiance au palais ; il lui dit que les portes, quoique fermées, s’ouvriront d’elles-mêmes, et que le fier empereur s’adoucira. Rassuré par la présence et les paroles de l’ange, et aidé de son secours, il se rend au palais. 
Les portes s’ouvrent ; il ne rencontre personne, et parvient sans opposition jusqu’à l’empereur. Celui-ci, le voyant venir de loin, frémit de rage de ce qu’on l’a laissé entrer, et ne veut pas se lever pendant qu’il se tient debout. Tout à coup son siège est couvert de flammes qui l’enveloppent, et forcent ce prince orgueilleux de descendre de son trône et de se tenir debout, malgré lui, devant Martin. Il embrasse ensuite celui qu’il avait résolu de mépriser, et avoue qu’il a ressenti les effets de la puissance divine ; puis, sans attendre les prières de Martin, il lui accorde tout ce qu’il veut, avant qu’il lui ait fait aucune demande. Il le fit souvent venir pour s’entretenir avec lui, ou le faire asseoir à sa table. À son départ, il lui offrit beaucoup de présents ; mais le saint homme, voulant toujours rester pauvre, n’en accepta aucun. » 

Note: L’arianisme est un courant de pensée théologique des débuts du christianisme, due à Arius, théologien alexandrin au début du IV eme siècle, et dont le point central concerne les positions respectives des concepts de « Dieu le père » et « son fils Jésus ». La pensée de l’arianisme affirme que, si Dieu est divin, son Fils, lui, est d’abord humain, mais un humain disposant d’une part de divinité.

Le premier concile de Nicée, convoqué par Constantin en 325, rejeta l’arianisme. Il fut dès lors qualifié d’hérésie par les chrétiens trinitaires, mais les controverses sur la double nature, divine et humaine, du Christ (Dieu fait homme), se prolongèrent pendant plus d’un demi-siècle. (Wikipedia)

Plus loin, Sulpice Sévère relate ce nouvel épisode où la caractère bien trempé du saint homme s’illustre de nouveau:


« Après des faits si grands, si merveilleux, en voici quelques autres qui sembleraient peu importants, si l’on ne devait pas placer au premier rang, surtout à notre époque où tout est dépravé et corrompu, la fermeté d’un évêque refusant de s’humilier jusqu’à aduler le pouvoir impérial. Quelques évêques étaient, venus de différentes contrées à la cour de l’empereur, Maxime, homme fier, et que ses victoires dans les guerres civiles avaient encore enflé, et ils s’abaissaient jusqu’à placer leur caractère sacré sous le patronage de l’empereur; Martin, seul, conservait la dignité de l’apôtre. 
En effet, obligé d’intercéder auprès de l’empereur pour quelques personnes, il commanda plutôt qu’il ne pria. Souvent invité par Maxime à s’asseoir à sa table, il refusa, disant qu’il ne pouvait manger avec un homme qui avait détrôné un empereur et, en avait fait mourir un autre. Maxime lui assura que c’était contre son gré qu’il était monté sur le trône ; qu’il y avait été forcé ; qu’il n’avait employé les armes que pour soutenir la souveraineté que les soldats, sans doute par la volonté de Dieu, lui avaient imposée; que la victoire si étonnante qu’il avait remportée prouvait bien que Dieu combattait pour lui, et que tous ceux de ses ennemis qui étaient morts n’avaient péri que sur le champ de bataille. 
Martin se rendit à la fin soit aux raisons de l’empereur, soit à ses prières, et vint à ce repas ; à la grande joie du prince qui avait obtenu ce qu’il désirait si ardemment. Les convives, réunis comme pour un jour de fête, étaient des personnages grands et illustres ; il y avait Évodius, en même temps préfet et consul, le plus juste des hommes, et deux comtes très puissants, l’un frère et l’autre oncle de l’empereur. 
Le prêtre qui avait accompagné Martin était placé entre ces deux derniers ; quant à celui-ci, il occupait un petit siège près de l’empereur. 
À peu près vers le milieu du repas, l’échanson, selon l’usage, présenta une coupe à l’empereur, qui ordonna de la porter au saint évêque ; car il espérait et désirait vivement la recevoir ensuite de sa main. 
Mais Martin, après avoir bu, passa la coupe à son prêtre, ne trouvant personne plus digne de boire le premier après lui, et croyant manquer à son devoir en préférât au prêtre soit l’empereur, soit le plus élevé en dignité après lui. L’empereur et tous les assistants admirèrent tellement cette action, que le mépris qu’il avait montré pour eux fût précisément ce qui leur plut davantage. Le bruit se répandit dans tout le palais que Martin avait fait à la table de l’empereur ce qu’aucun évêque n’aurait osé faire à la table des juges les moins puissants. »

En l’occurrence, soit il s’agit de la rencontre de Martin avec le « tyran Avitianus » à Tours, soit il s’agit de l’empereur Maxime. Dans les deux cas, l’épouse, soit d’Avitianus, soit de Maxime, joue un rôle essentiel, et ici l’image montre une grande dame à côté du prince. 

 
Le deuxième panneau à droite semble raconter la guérison d’une jeune fille paralysée dans son lit.

 
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Sulpice Sévère dans « La vie de St Martin – Chapitre XVI raconte « Martin était si puissant pour la guérison des malades, que presque tous ceux qui venaient à lui étaient guéris. 
L’exemple suivant en est la preuve. Il se trouvait à Trèves une jeune fille atteinte d’une paralysie si complète, que tous ses membres, depuis longtemps, lui refusaient leur service ; ils étaient déjà comme morts, et elle ne tenait plus à la vie que par un souffle.
Ses parents accablés de tristesse, étaient là, n’attendant plus que sa mort, lorsqu’on apprit que Martin venait d’arriver dans la ville. Aussitôt, que le père de la jeune fille en est instruit, il y court tout tremblant, et implore Martin pour sa fille mourante. Par hasard le saint évêque était déjà entré dans l’église ; là, en présence du peuple et de beaucoup d’autres évêques, le vieillard, poussant des cris de douleur, embrasse ses genoux, et lui dit : « Ma fille se meurt d’une maladie terrible, et ce qu’il y a de plus affreux, c’est que ses membres, bien qu’ils vivent encore, sont comme morts et privés de tout mouvement. Je vous supplie de venir la bénir, car j’ai la ferme confiance, que vous lui rendrez la santé. » 

Martin, étonné de ces paroles qui le couvrent de confusion, s’excuse, en disant qu’il n’a pas ce pouvoir, que le vieillard se trompe, et qu’il n’est pas digne que le Seigneur se serve de lui pour faire un miracle. Le père, tout en larmes, insiste plus vivement encore, et le supplie de visiter sa fille mourante. Martin se rend enfin aux prières des évêques présents, et vient à la maison de la jeune fille. Une grande foule se tient à la porte, attendant ce que le serviteur de Dieu va faire.
Et d’abord, ayant recours à ses armes ordinaires, il se prosterne à terre et prie ; ensuite, regardant la malade, il demande de l’huile; après l’avoir bénite, il en verse une certaine quantité dans la bouche de la jeune fille, et la voix lui revient aussitôt ; puis, peu à peu, par le contact de la main de Martin, ses membres, les uns après les autres, commencent à reprendre la vie; enfin, ses forces reviennent, et elle peut se tenir debout devant le peuple. »
 

Le panneau suivant pourrait être en lien avec une intercession pour la guérison d’une autre jeune fille. 
 
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Toujours dans « La vie de St Martin » au chapitre XIX, on apprend que:
« Arborius, ancien préfet, homme plein de foi et de piété, dont la fille était affectée d’une fièvre quarte très violente, lui mit sur la poitrine une lettre de Martin, qui lui était tombée par hasard entre les mains, et aussitôt la fièvre cessa. Cette guérison toucha tellement Arborius, qu’il consacra sur-le-champ sa fille, à Dieu, et la voua à une virginité perpétuelle. Il partit ensuite pour aller trouver Martin, lui présenta sa fille qu’il avait guérie, quoique étant absent, comme une preuve vivante de ce miracle, et ne souffrit pas qu’un autre que Martin lui donnât le voile. »

Le panneau en dessous montre un homme visiblement mort, déjà dans son cercueil, se relevant. 
 
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Est-ce une référence à cette épisode de la vie de Saint Martin, un de ses premiers miracles?

« Sur ces entrefaites, un catéchumène, désirant être instruit- par un si saint homme, se joignit à lui ; mais peu de jours après il fut pris de la fièvre. Martin était alors absent par hasard. Cette absence se prolongea trois jours encore, et à son retour il le trouva mort. 
L’événement avait été si soudain, qu’il avait quitté la terre n’ayant pas encore reçu le baptême. Le corps était placé au milieu de la chambre, où les frères se succédaient sans cesse pour lui rendre leurs devoirs, lorsque Martin accourut, pleurant et se lamentant. Implorant alors avec ardeur la grâce de l’Esprit Saint, il fait sortir tout le monde, et s’étend sur le cadavre du frère. Après avoir prié avec ferveur pendant quelque temps, averti par l’Esprit du Seigneur que le miracle va s’opérer, il se soulève un peu, et, regardant fixement le visage du défunt, il attend avec confiance l’effet de sa prière et de la miséricorde divine. À peine deux heures s’étaient-elles écoulées, qu’il vit tous les membres du défunt s’agiter faiblement ; et les yeux s’entrouvrir. Alors Martin rend grâces à Dieu à haute voix, et fait retentir la cellule des accents de sa joie. À ce bruit, ceux qui se tenaient au dehors rentrent précipitamment, et (ô spectacle admirable !) ils trouvent plein de vie celui qu’ils avaient laissé inanimé. Ce catéchumène, revenu à la vie, fut aussitôt baptisé, et vécut encore plusieurs années

Le dernier tableau est relatif à la mort du saint homme.

 

L’évêque qui le bénit est sans doute de saint Ambroise de Milan qui, selon une légende rapportée par Grégoire de Tours, avait assisté à la mort de Martin. 

D’ailleurs on peut voir un autre ou peut-être deux autres évêques; une autre légende rapporte aussi en effet la présence de saint Séverin, évêque de Cologne, à la mort de Martin.

 
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Sulpice Sévère n’est pas avare en détails sur la mort de son maître. Dans sa lettre à Bassula, sa belle-mère, il raconte comment Saint Martin a « quitté cette vie pour l’éternité ».

 « …Martin connut l’heure de sa mort longtemps d’avance, et annonça à ses frères que la dissolution de son corps était proche. Il eut à cette époque un motif pour aller visiter la paroisse de Candes; car, désirant rétablir la concorde parmi les clercs de cette église qui étaient divisés, quoiqu’il sût que sa fin approchait, il ne balança pas à entreprendre ce voyage. Il pensait qu’il couronnerait dignement ses travaux s’il rétablissait la paix dans cette église avant de mourir.

Ô homme admirable, que ni le travail ni la mort même ne peuvent, vaincre ! qui demeure indifférent, qui ne craint, ni la mort ni la vie ! Ainsi, malgré l’ardeur de la fièvre qui le consumait depuis plusieurs jours, il poursuivait l’œuvre de Dieu avec un zèle infatigable. Il veillait toutes les nuits, et les passait en prière. Étendu sur sa noble couche, la cendre et le cilice, il se faisait obéir de ses membres épuisés par l’âge et la maladie.Ses disciples l’ayant prié de souffrir qu’on mît un peu de paille sur sa couche : « Non, mes enfants, répondit-il, il ne convient pas qu’un chrétien meure autrement que sur la cendre et le cilice ; je serais moi-même coupable de vous laisser un autre exemple. » Il tenait ses regards et ses mains continuellement élevés vers le ciel, et ne se lassait point de prier.

Un grand nombre de prêtres qui s’étaient réunis près de lui, le priaient de leur permettre de se soulager un peu en le changeant de position : « Laissez-moi, mes frères, répondit-il ; laissez-moi regarder le ciel plutôt que la terre, afin que mon âme prenne plus facilement son essor vers Dieu. » 
À peine eut-il achevé ces mots, qu’il aperçut le démon à ses côtés. « Que fais-tu ici, bête cruelle ! tu ne trouveras rien en moi qui t’appartienne : je serai reçu dans le sein d’Abraham. » Après ces paroles, il expira. Des témoins de sa mort nous ont attesté qu’en ce moment son visage parut celui d’un ange, et que ses membres devinrent blancs comme la neige. Aussi s’écrièrent-ils : « Pourrait-on jamais croire qu’il soit revêtu d’un cilice et couvert de cendres ? » Car, dans l’état où ils virent alors son corps, il semblait qu’il jouît déjà de la transformation, glorieuse des corps ressuscités. Il est impossible de s’imaginer l’innombrable multitude de ceux qui vinent. lui rendre les derniers devoirs. 

Presque toute la ville de Tours accourut au-devant du saint corps ; tous les habitants des campagnes et des bourgs voisins, et même un grand nombre de personnes des autres villes s’y trouvèrent. Oh ! quelle affliction dans tous les cœurs ! Quels douloureux gémissements faisaient entendre, surtout les moines ! 

On dit qu’il en vint environ deux mille : c’était la gloire de Martin, les fruits vivants et innombrables de ses saints exemples. Ainsi, le pasteur conduisait-il ses ouailles devant lui, de saintes multitudes pâles de douleur, des troupes nombreuses de moines revêtus de manteaux, des vieillards épuisés par de longs travaux, de jeunes novices de la solitude et du sanctuaire. Apparaissait ensuite le chœur des vierges, que la retenue empêchait de pleurer, et qui dissimulaient par une joie toute sainte la profonde affliction de leurs cœurs : et si la confiance qu’elles avaient dans la sainteté de Martin ne leur permettait pas de paraître tristes, l’amour qu’elles lui portaient leur arrachait cependant quelques gémissements. Car la gloire dont Martin jouissait déjà causait autant de joie, que sa mort qui le ravissait à ses enfants leur causait de douleur. Il fallait pardonner les larmes des uns et partager l’allégresse des autres ; car chacun, en pleurant pour soi-même, devait en même temps se réjouir pour lui. »
 
Voila vous savez tout … ou presque !
 
Vous êtes à même de vous faire une opinion !
 
Alors, selon vous,

Saint Martin, p’tet ben que oui ou p’tet ben que non ?
 
 
Crédit photos : Philippe Duflot (MOF) et Gilbert Guillotin  – Photo – Club de Cambremer

Saint Martin ? p’têt ben qu’oui !

Chers amis du patrimoine de Repentigny
 
Vous vous souvenez qu’en 2012 nous avions eu la surprise de découvrir, au dos des panneaux latéraux du retable, d’autres scènes religieuses.
 
Avant leur restauration, il fallait un œil d’aigle pour deviner ce dont il s’agissait.
Jugez plutôt leur état, après probablement plusieurs siècles d’oubli.
 

 

 
Grâce au talent et aux soins attentifs de notre restaurateur, M. Andronescu, elles ont repris vie et leur couleur grisaille d’origine.
 
Le même panneau en 2014 a meilleure allure :

 

 
Spectaculaire non !
 
Le panneau droit par exemple, après la restauration, est magnifique.
 


Reste une question qui nous taraude. Quel est cet évêque dont la vie nous est racontée ?
 
Notre église étant dédiée à Saint Martin, une hypothèse logique méritait d’être testée : cet évêque est-il le grand saint du 4ème siècle, évangélisateur de la Gaule, Saint Martin lui-même ?
 
En bons normands, nous serions tentés de dire : ptet ben qu’oui !
 
Différentes scènes font penser à sa vie telle que racontée par son disciple Sulpice Sévère.
 
Saint Martin est traditionnellement représenté, soit à cheval en soldat de l’armée romaine partageant son manteau avec un pauvre, soit en évêque (mitre, crosse) ce qui est le cas ici.
 
Saint Martin est né dans la Hongrie actuelle il y a 1700 ans, en 316 et il est mort en Gaule (Candes, situé entre Angers et Tours) 80 ans plus tard.
 
Il est fameux pour son évangélisation de la Gaule. Plus de 4000 églises portent son nom en France, dont plus de 110 dans le Calvados.
 
On le fête le 11 novembre, date choisie justement par les négociateurs français pour la signature de l’armistice de la guerre 1914-1918.
 
En partant du premier panneau en haut à gauche, notre enquête débute … et bute … sur un os !
 
 
Comment rattacher cette scène de chasse à la vie du saint homme ? Le lien est ténu mais il existe !
 
Dans l’iconographie de l’art chrétien de Louis Réaux, on apprend que saint Martin est aussi protecteur des animaux ! A Chartres, on voit aussi une statue de saint Martin sur le portail Sud : deux chiens poursuivent un lièvre ; saint Martin leur ordonne de lâcher leur proie.

Les martins pêcheurs lui doivent leur nom. Sulpice Sévère raconte, dans une de ses lettres à Bassula, sa belle-mère, cette anecdote. 
Au soir de sa vie, Saint Martin entreprend son dernier voyage vers Candes. 
« Parti, accompagné, suivant son usage, d’une troupe nombreuse de pieux disciples, il vit sur le fleuve des plongeons poursuivre des poissons, et exciter sans cesse leur gloutonnerie par de nouvelles captures : «Voici, dit-il, une image des démons, qui dressent des embûches aux imprudents, les surprennent et les dévorent, sans pouvoir se rassasier.» Alors Martin, avec toute la puissance de sa parole, commanda aux oiseaux de s’éloigner du fleuve et de se retirer dans des régions arides et désertes, employant contre eux le même pouvoir dont il usait souvent contre les démons. À l’instant tous ces oiseaux se rassemblent, et, quittant le fleuve, se dirigent vers les montagnes et les forêts, à la grande admiration de tous les spectateurs, qui voyaient Martin exercer son pouvoir, même sur les oiseaux. »
 
Le deuxième panneauest plus clair. On y voit un évêque discutant avec un jeune homme. Les deux portent l’auréole des saints. 
 
 
Est-ce Saint Hilaire, alors évêque de Poitiers, rencontrant le jeune Martin après qu’il eut quitté le service de l’armée romaine ?
 
Sulpice Sévère raconte : « Dans la suite, ayant quitté le service, Martin se rendit auprès de saint Hilaire, évêque de Poitiers ; homme dont la foi vive était connue et admirée de tout le monde ; il y resta quelque temps. Hilaire voulut le faire diacre pour se l’attacher plus étroitement et le consacrer au service des autels ; mais Martin avait souvent refusé, disant hautement qu’il en était indigne. Hilaire, dans sa sagesse, vit bien qu’il ne se l’attacherait qu’en lui conférant un emploi ; dans lequel il semblerait ne pas lui rendre justice ; il voulut donc qu’il fût exorciste. Martin ne refusa point cet ordre, de peur de paraître le mépriser, à cause de son infériorité. »
 
Le troisième panneau est encore plus explicite, on y voit une ordination épiscopale.

 

 
Martin, peu enclin aux honneurs, fut difficile à convaincre de prendre la mitre et la crosse. Sa nomination racontée par Sulpice Sévère fut apparemment mouvementée.
 
« C’est à peu près à cette époque que la ville de Tours demanda saint Martin pour évêque ; mais comme il n’était pas facile de le faire sortir de sa solitude, un des citoyens de la ville, nommé Ruricius, se jeta à ses pieds, et, prétextant la maladie de sa femme, le détermina à sortir. Un grand nombre d’habitants sont échelonnés sur la route ; ils se saisissent de Martin, et, le conduisent à Tours, sous bonne garde. Là, une multitude immense, venue non seulement de Tours mais des villes voisines, s’était réunie afin de donner son suffrage pour l’élection. L’unanimité des désirs, des sentiments et des votes, déclara Martin le plus digne de l’épiscopat, et l’Église de Tours heureuse de posséder un tel pasteur.
Un petit nombre cependant, et même quelques évêques convoqués pour élire le nouveau prélat, s’y opposaient, disant qu’un homme d’un extérieur si négligé, de si mauvaise mine, la tête rasée et si mal vêtu, était indigne de l’épiscopat. Mais le peuple, ayant des sentiments plus sages, tourna en ridicule la folie de ceux qui, en voulant nuire à cet homme illustre, ne faisaient qu’exalter ses vertus.
Les évêques furent donc obligés de se rendre au désir du peuple, dont Dieu se servait pour faire exécuter ses desseins. »
 
Le quatrièmetableau est lui aussi clair. On y voit notre saint évêque aux prises avec un esprit malin, un spectre, un démon.
 
 
 
La vie de Saint Martin abonde d’exemples de ce type. Par exemple au Chapitre XVII :
« À la même époque, Tétradius, personnage consulaire, avait un esclave possédé du démon, et qui allait faire une fin déplorable. On pria Martin de lui imposer les mains, et il se le fit amener. Mais on ne put faire sortir le possédé de la cellule, car il mordait cruellement ceux qui s’en approchaient. Alors Tétradius, se jetant aux pieds de Martin, le supplia de venir lui-même dans la maison où se trouvait le démoniaque ; mais il refusa, disant qu’il ne pouvait entrer dans la demeure d’un profane, et d’un païen. Tétradius était encore plongé dans les erreurs du paganisme ; mais il promit de se faire chrétien, si son serviteur était délivré du démon. C’est pourquoi Martin imposa les mains à l’esclave, et en chassa l’esprit immonde. À cette vue, Tétradius crut en Jésus-Christ. Il fut aussitôt fait catéchumène, baptisé peu de temps après, et depuis lors il eut toujours un respect affectueux pour Martin, l’auteur de son salut.
Vers la même époque et dans la même ville, Martin, étant entré dans la maison d’un père de famille, s’arrêta sur le seuil, disant qu’il voyait un affreux démon dans le vestibule. Au moment où Martin lui commandait de sortir, il s’empara d’un esclave qui se trouvait dans l’intérieur de la maison ; ce malheureux se mit aussitôt à mordre et à déchirer tous ceux qui se présentaient à lui. Toute la maison est dans le trouble et l’effroi ; le peuple prend la fuite. Martin s’avance vers le furieux, et lui commande d’abord de s’arrêter ; mais il grinçait des dents, et, ouvrant la bouche, menaçait de le mordre ; Martin y met ses doigts : « Dévore-les, si tu en as le pouvoir, » lui dit-il. Alors le possédé, comme si on lui eut plongé un fer rouge dans la gorge, recula pour éviter de toucher les doigts du Saint. Enfin le diable, forcé par les souffrances et les tourments qu’il endurait de quitter le corps de l’esclave, et ne pouvant sortir par sa bouche, s’échappa par les voies inférieures, en laissant des traces dégoûtantes de son passage. »Sic !


Dans le cinquième panneau, on voit l’évêque endormi sous la protection de Dieu dans une maison en flammes. Ceci est clairement rattachable à la vie de Saint Martin dans un épisode relaté par Sulpice Sévère dans sa « Lettre au père Eusèbe ».
 « Un jour d’hiver, Martin visitant une paroisse (suivant l’habitude des évêques), les clercs lui préparèrent un logement dans la sacristie, allumèrent un grand feu dans une sorte de fourneau très mince et construit en pierres brutes, puis lui dressèrent un lit, en entassant une grande quantité de paille. Martin s’étant couché eut horreur de la délicatesse de ce lit, à laquelle il n’était pas habitué, car il avait coutume de coucher sur un cilice, étendu sur la terre nue.
Mécontent de ce qu’il regardait comme une injure, il repoussa la paille, qui s’accumula par hasard sur le fourneau ; puis, fatigué du voyage, il s’endormit, étendu par terre, suivant son usage. Vers le milieu de la nuit, le feu, étant très ardent, se communiqua à la paille à travers les fentes du fourneau. Martin, réveillé en sursaut, surpris par ce danger subit et imminent, et surtout, comme il le raconta lui-même, par l’instigation du démon, eut recours trop tard à la prière ; car, voulant se précipiter au dehors, et ayant fait de longs efforts pour enlever la barre qui fermait la porte, un feu si violent l’environna, que le vêtement qu’il portait fut consumé.
Enfin, rentrant en lui-même, et comprenant que ce n’était pas dans la fuite, mais dans le Seigneur qu’il trouverait du secours, il s’arma du bouclier de la foi et de la prière, et, se remettant tout entier entre les mains de Dieu, il se précipita au milieu des flammes. Alors le feu s’étant éloigné miraculeusement de Martin, celui-ci se mit en prière au milieu d’un cercle de flammes dont il ne ressentait nullement les atteintes. Les moines qui étaient au dehors, entendant le bruit et les pétillements de la flamme, enfoncent les portes, écartent les flammes, et en retirent Martin, qu’ils croyaient déjà entièrement consumé. Du reste, Dieu m’en est témoin, Martin lui-même me racontait et avouait en gémissant, que c’était par un artifice diabolique, qu’à l’instant de son réveil il n’avait pas eu la pensée de repousser le danger par la foi et la prière ; qu’enfin il avait senti l’ardeur des flammes jusqu’au moment où, rempli de frayeur, il s’était précipité vers la porte ; mais qu’aussitôt qu’il avait eu recours au signe de la croix et aux armes puissantes de la prière, les flammes s’étaient retirées, et qu’après lui avoir fait sentir leurs cruelles atteintes, elles s’étaient ensuite transformées en une douce rosée. Que celui qui lira ces lignes comprenne que si ce danger a été pour Martin une tentation, il a été aussi une épreuve de Dieu. »
Le sixième, et dernier panneau de cette partie droite, est étonnant. Regardez bien ce qui sort de la bouche de la jeune femme agenouillée !
Un espèce de démon noir.
Scène d’exorcisme ou miracle de la jeune fille muette à qui Saint Martin avait rendu la parole.
Sulpice Sévère raconte dans son troisième dialogue: 
« Et d’abord, je désire vivement vous raconter un miracle que Réfrigérius me souffle à l’oreille ; il s’est passé dans la ville de Chartres. Un père de famille présenta à Martin sa fille, âgée de douze ans et muette de naissance, suppliant le Saint de lui rendre l’usage de la langue par ses mérites. Martin, par déférence pour les évêques Valentinien et Victrice, qui se trouvaient par hasard près de lui, disait que cette tâche était au-dessus de ses forces, mais, qu’elle n’était pas impossible à ces saints évêques. Ceux-ci joignirent leurs pieuses instances aux supplications du père, et le prièrent d’acquiescer à sa demande. Le saint homme n’hésita pas (quelle humilité et quelle admirable miséricorde !) et fit éloigner le peuple. En présence seulement des évêques et du père de la jeune fille, il se mit en prière, selon son habitude il bénit ensuite un peu d’huile, en récitant une formule d’exorcisme, et versa la liqueur sacrée sur la langue de la jeune fille, qu’il tenait entre ses doigts. Son attente ne fut point trompée. Il lui demanda le nom de son père, qu’elle prononça aussitôt ; celui-ci jette un cri, se précipite aux pieds de Martin, en pleurant de joie, et assure aux assistants étonnés que c’est la première parole qu’il entend prononcer à sa fille. Si par hasard ce fait vous parait incroyable, Évagrius, ici présent, vous attestera sa véracité, car il en fut témoin. »
 
Alors, êtes-vous convaincu que Saint Martin pourrait bien être notre évêque mystérieux?
 

 

A bientôt sur le blog, pour l’explication du panneau de gauche!

Crédit photos : Philippe Duflot (MOF) et Gilbert Guillotin – Photo Club de Cambremer